Il m'arrive parfois, voire souvent, de me demander pourquoi mon destin a choisi de m'envoyer vers les métiers de la restauration... Je m'intérroge souvent sur le but de tout celà, de toute cette importance qu'on accorde à tout ça. Ok, c'est un art, ok, c'est une métier passion, ok, c'est un métier contact. Mais bon dieu, est-ce important que la table 20 soit arrivée il y a 40 minutes sans avoir encore vu d'assiette, ou que le citron n'a pas été apporté table 41? Ce ne sont que des gens qui ont d'une, assez d'argent à dépenser pour venir manger dans un bon resto, de deux, du temps à passer à se détendre, en bonne compagnie. Alors, il n'y a pas de quoi faire une affaire d'état. Chaque chose sera faite en temps voulu, mais il ne sert à rien de refiler une crise cardiaque à tout le personnel.

Mais il n'y a pas que ça qui crée le spleen du bon serveur. Tout d'abord il doit subir son équipe: bien que certains travaillent comme lui, d'autres ont de sales tendances. Quelques exemples concrets: j'arrive à la table avec mes plats, je les annonce afin de savoir où les poser, et voilà que le chef de rang arrive pour me dire où vont les plats. Suis-je bête au point de ne pas pouvoir le demander comme partout ailleurs, et les clients sont-ils tous amnésiques? Autre exemple, la manie de certains serveurs de ne pas redresser correctement leur table (pas de couteau à viandes, pas de cuillères, le pain et les poivres et sels alors que les desserts sont servis) ce qui crée du retard pour le pauvre passeur qui lui doit sortir toutes les tables, leur fournir à toutes du pain, tout en se brûlant avec les assiettes, mais avec le sourire, s'il vous plait! Est-ce qu'il n'y a pas un problème dans l'équation là? Une personne doit se charger de tout ça? Et pour peu qu'on l'aide, ne voilà pas que les bons ne sont pas piqués, que je n'ai pas le temps de le remarquer, et que je me fasse engueuler par les cuistos parce qu'ils ont sortis deux fois les plats... ça c'est le genre de trucs qui foutent la haine.

Puis les cliens s'y mettent. Il faut croire que ma mysanthropie ne transparait pas sur mon visage, étant donné le nombre de gens qui s'adressent spécifiquement à moi (qui n'ai déjà pas beaucoup de temps pour faire ce que j'ai à faire) pour commander le vin, demander des boissons, un carafe d'eau, un citron, un autre couteau, des serviettes supplémentaires, etc. Mais attention; la coalition ne s'arrête pas là, elle va dans les plus fins détails: jamais une table ne fera toutes les réclamations à la fois. Non, c'est tellement plus amusant de me faire revenir deux ou trois fois pour une seule petite chose à chaque fois. Version clients il y a aussi les indécis: ceux qui hésitent au dernier moment pour leur commande, ceux qui font des blagues pendant que vous êtes pressés, ceux qui ne savent plus ce qu'ils mangent quand j'arrive avec les assiettes incandescantes. Brefs, ceux qui nous font cruellement perdre du temps (cruellement au sens propre puisque les cloques se forment sous le liteau). J'en arrive même à demander parfois "s'il vous plait, dîtes moi car les assiettes sont réellement brûlantes". Si personne ne réagit, je les pose sur la table, n'importe où du moment qu'elles finissent pas par terre.

Enfin, vient l'heure de ranger la console: je prend une bonne demi heure, en comptant les nombreuses parenthèses effectuées en salle à droite à gauche, pour la finir tranquile. Mais ne voilà pas que le "big boss" ait décidé de passer ce soir, histoire d'inspecter les lieux, alors je suis chargée de balayer la terrasse, alors que dans un quart d'heure je suis sensée partir. Bonne pomme, je le fais sans rechigner, résultat, je finis avec un quart d'heure de retard, car pendant que je me suis absentée, ma console a été foutue en bordel. C'est pas grave, nat le rangera bien, après tout, elle est pas à ça près. Bref, la merde, la merde, et la remerde.

A donner trop, à être toujours sérieux et serviable, on se fait bouffer. J'emmerde la conscience professionnelle, c'est elle qui crée le malheur des bosseurs qui se font enculer par rapport aux flemmards. Et l'autosatisfaction est anéantie par l'impression de se faire entuber à chaque seconde. Les merdeux d'égoistes ont tout compris.

Morale de l'histoire: n'entrez pas dans le joyeux monde de la restauration; bien que de formidables instants s'offriront à vous, de longues heures d'enfer en seront le prix. D'autres métiers offrent ces instants pour un prix bien plus agréable.