Heureux sont les voyageurs improvisés. Une journée de relâche, de retranchement loin de la capitale. Une sensation de pureté et de paix qui vous allège de quelques grammes de stress et de monotomnie. Mais la fin du voyage se profile déjà, et la mélancolie qu'elle amène avec elle. Car ces voyages en train nous donnent à voir ce que nous n'avons pas l'occasion, la chance de pouvoir cotoyer au jour le jour : le vert, le vent, les rivières, la nature, toutes ces simplicités dont le citadin s'est plus ou moins naturellement détâché, et qu'il a sacrifié sans même s'en rendre compte et donc sans s'en lamenter. Triste aveugelement que celui dans lequel se conforte le citadin.

Vu du tgv, une striée de nuages légers semble nous suivre, où plutôt devrais-je dire que le train semble les pourchasser, comme pour ne pas laisser s'évader les derniers témoins de ma journée d'escapade. On se croirait dans un vieux décor de théâtre où les différents éléments étaient simplement glissés, alors que d'autres restaient en place. Comme si nous n'étions, nous aussi, que des éléments de cette vaste scène, simples jouets de notre propre vie.

Les voyages en train sont pour moi source de désespoir et d'ennui, ou au contraire, de rêverie, de vagabondage quasi métaphorique, tel un moment de réflexion hors du temps, en apesanteur, où l'on flotte entre deux destinations; un rêve éveillé.

Quand mon appartement donnait sur les voies ferrées de la gare, je me sentais à la fois à la fois très rongée et très libre. Libre car tout me semblait possible. En quelques pas, je pouvais m'évader où je voulais. Un réseau de possiblités m'était offert, presque à portée de main. Mais rongée aussi car la raison vient toujours censurer ces projets à peine rêvés, nous rappellant que ni notre portefeuille, ni notre conscience ne l'autoriseraient. J'envie chaque voyageur, ceux que j'ai vu monter dans ces trains, et les autres, tout en ressentant une béatitude : j'ai l'appartement le plus vagabond qu'il me sera jamais donné d'avoir.

Il me restera toujours l'imaginaire. Même cloîtrée entre quatre murs, comme ces prisonniers de l'autre côté des voies (quelle ironie noire), même en plein milieu de ma journée au bureau, il me suffira toujours de fermer les yeux pour voir un joli souvenir, un paysage impalpable mais pourtant si ennivrant, ou tout simplement entendre le ruissellement des eaux vives, ou le va et vient des vagues, le vent faisant danser et chanter les feuilles des grands arbres ou les épis de blé dans les grandes étandues de champs.

Maintenant le train semble poursuivre un avion. Depuis plusieurs minutes déjà, nous sommes à égalité, ex aequo dans notre course vers le quotidien et la grisaille de la capitale. Je ne veux pas que cette journée finisse.